Jacques Delors, Sami Andoura et Jean-Arnold Vinois*
Le retour de l'énergie au centre de la construction européenne : rompre avec le court-termisme et le repli sur soi. Le secteur énergétique n'échappe pas à la faiblesse actuelle des systèmes politiques européen et nationaux, marqués par la prégnance de la vision à court terme et la tendance croissante des pays et citoyens européens à se replier sur eux-mêmes. Les peuples européens ont peur de la mondialisation et de l'avenir. Sous la pression des évènements politiques et de l'inquiétude économique et sociale, ils perdent le sentiment qu'ils ont un patrimoine commun de vivre et savoir vivre ensemble. L'Europe a-t-elle encore son mot à dire et veut elle le dire?.
Il s'agit maintenant de retrouver un nouvel élan commun, et de repenser notre façon de vivre et gouverner ensemble. L'UE dispose aujourd'hui de politiques communes dans de nombreu domaines vitaux. Pourquoi l'énergie ne pourrait-elle pas prendre la place centrale qui lui revient dans le projet européen, conformément à ce que les citoyens européens demandent depuis plusieurs années ?
L'Union de l'énergie : des actions déterminées pour un projet européen de transition énergétique sur le long terme
Le Conseil européen a appelé de ses vœux une Union de l'énergie, dont le contenu n'est pas encore défini mais qui figure au premier plan de l'organisation et des priorités de la nouvelle Commission. Afin d'aider les acteurs impliqués dans cette tâche complexe, il est cru- cial d'identifier les projets et moyens européens à développer pour parvenir à une véritable Union de l'énergie fondée sur les valeurs et principes européens fondamentaux d'intégration, de coopération et de solidarité.
L'Union de l'énergie est le catalyseur de la néces- saire transition énergétique en Europe. Elle doit permettre de dépasser l'approche fragmentée, courttermiste et de repli sur soi qui affecte dangereusement l'Europe. Elle repose sur un nouveau modèle de déve-
loppement économique durable. Le centre de gravité du système énergétique européen doit se déplacer du producteur vers le consommateur, et d'un modèle de production non durable vers un modèle de réduction de la consommation, et donc de la demande. Une nouvelle
stratégie industrielle doit émerger, fondée sur l'innovation et le déploiement des technologies digitales et de l'information dans le secteur énergétique.
L'Union de l'énergie est un projet pour tous. Elle est créatrice de richesses et de bien-être pour tous les Européens. Elle promeut la solidarité, comme assurer l'approvisionnement énergétique de chacun à un prix abordable pour tous. Éduquer et former davantage les
jeunes générations aux défis et aux opportunités offertes par ce nouveau modèle européen de transition énergétique est une tâche à la mesure de l'UE. Un dialogue social européen dans le secteur énergétique est nécessaire pour accompagner cette mutation forte en termes
d'emplois. La précarité énergétique est une réalité grandissante qui doit être abordée par l'UE dans le cadre d'une véritable politique sociale. L'Union de l'énergie aide aussi les populations africaines, asiatiques et bien d'autres encore, qui n'ont même pas accès à l'énergie.
L'Union de l'énergie inclut une diplomatie énergétique européenne qui promeut notre projet de transition énergétique et défend les intérêts européens à travers le monde, notamment dans le cadre de politiques commerciales européennes. Que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, l'essentiel n'est pas de parler d'une seule voix, mais bien de porter un message européen fort et univoque, quel que soit le porte-parole. L'Union de l'énergie bâtit son avenir sur une base solide en s'appuyant sur une Agence européenne d'information énergétique et climatique.
L'Union de l'énergie réinvente la simplicité et replace la méthode communautaire au centre du jeu institutionnel européen. Un forum virtuel de l'énergie regroupant l'ensemble des acteurs et simplifiant les méthodes de consultation existantes consacrerait la démocratisation nécessaire de l'Union de l'énergie et son acceptation générale.
Tels sont notamment les avantages d'une Union de l'énergie réunissant les 28 États membres. La masse critique de l'UE, forte de son marché intérieur et de ses 500 millions de citoyens/consommateurs, est un formi- dable atout dont les bénéfices doivent être optimisés. Il faut pour cela s'appuyer avant tout sur l'intégration du marché intérieur. Or, le marché intérieur de l'énergie ne va pas dans ce sens. Dès lors, la priorité à très court terme pour l'UE est de réviser intelligemment la politique énergétique européenne actuelle.
Une condition sine qua non : réviser la politique énergétique européenne à très court terme.
Le nouveau cadre européen pour les politiques énergétiques et climatiques à l'horizon 2030 est marqué par une ambition réduite, particulièrement en matière de promotion d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique. L'UE n'a pas résolu la contradiction entre la poursuite d'une approche souveraine des États et les dimensions européenne et mondiale, évidentes, des problèmes identifiés. Ce pas en arrière, s'il n'est pas compensé par une gouvernance européenne renforcée, peut être de nature à dangereusement renationaliser la politique énergétique qui avait été courageusement mise sur orbite européenne en 2007. En dépit des nombreuses réalisations et succès acquis ces dernières années, la politique énergétique européenne souffre d'un vice de construction et d'insuffisances structurelles auxquels il faut remédier.
Tout d'abord il faut finaliser le marché intérieur de l'énergie en tant qu'instrument de l'optimisation des ressources énergétiques par l'ensemble des acteurs, y compris les consommateurs. La mise en œuvre de toutes les règles dans tous les États est la première exigence. La réalisation des infrastructures nécessaires à l'intégration physique du marché et à la suppression des «îles énergétiques» doit être accélérée. Le marché de détail doit s'articuler dans un cadre européen et être transparent pour donner aux consommateurs le pouvoir d'agir dans le sens de l'efficacité énergétique. La sécurité d'approvisionnement en gaz et en électricité doit être gouvernée par des normes européennes claires et des actions préventives menées en concertation par les différents acteurs à travers les frontières.
Ensuite, il faut donner à l'UE le rôle qui lui revient sur la scène internationale, et en particulier dans son voisinage, reflétant l'interdépendance des économies plutôt qu'être laissées à des actions à court terme dépourvues de vision globale. Les relations avec les voisins immédiats doivent être renforcées dans un souci de création d'un espace paneuropéen déjà esquissé par la Communauté européenne de l'énergie, sans oublier la Méditerranée.
Enfin, la gouvernance européenne doit être renforcée et la dimension régionale doit être vue comme une étape intermédiaire indispensable. La Commission européenne doit pleinement jouer son rôle historique et unique d'initiateur de propositions d'actions ambitieuses et justifiées, de facilitatrice de dialogue et de gardienne des traités. Plutôt qu'être développée «en silo», la politique européenne de l'énergie doit être articulée avec toutes les autres politiques pertinentes.
Aucune de ces actions ne requiert de changements institutionnels ou de modifications des traités. La priorité accordée à l'Union de l'énergie par les institutions européennes est très bienvenue. Elle doit être traduite en actes forts et fédérateurs qu'il appartient maintenant à la Commission européenne de proposer et à tous les acteurs de débattre, adopter et mettre en œuvre. Il est temps de retrouver l'enthousiasme pour une idée qui demeure une utopie mais qui peut être réalisée. Il n'y a plus de temps à perdre.