L’accord UE-RU contient nombre de rappels utiles à l’attention des « Eurosceptiques », mais aussi de l’ensemble des Européens. Compte tenu du nombre des critiques souvent adressées à une UE « fantasmatique », il est tout d’abord nécessaire de souligner les très utiles rappels contenus par l’accord UE-RU.
En matière de « souveraineté », cet accord souligne par exemple que l’UE n’exerce que les compétences qu’on lui a confiées; qu’elle respecte pleinement la libre organisation des systèmes sociaux nationaux; que le RU dispose déjà d’un « statut spécial », notamment en raison de sa non-appartenance à la zone euro et à l’espace Schengen. Il ne fait que prendre acte de manière plus formelle que ce pays ne souhaite pas faire sien l’objectif d’une « union sans cesse plus étroite », sans remettre en cause la capacité des autres pays qui le souhaitent d’aller plus loin dans cette direction.
Sur l’amélioration de la « compétitivité », l’accord se borne à préciser que l’UE dispose d’aiguillons puissants, tels que le marché unique et la politique commerciale, tout en rappelant que la Commission Juncker a déjà mis l’accent sur la nécessité d’adopter des normes européennes régulant sans les brider l’activité des acteurs économiques.
Sur les relations entre les pays de la zone euro et les pays qui n’en font pas partie, l’accord indique que ces derniers ne sont pas tenus de financer les plans de sauvetage destinés aux pays en difficulté comme la Grèce (le RU avait choisi de financer une partie du sauvetage de l’Irlande) et que les règles de « l’union bancaire » ne s’appliquent qu’aux banques dont le siège est établi dans les pays qui l’ont adoptée.
En matière de libre circulation, l’accord rappelle enfin le contenu des règles européennes existantes, à rebours de nombre d’idées reçues, bien au-delà du UE-RU: il n'est pas possible pour des non-actifs de s'installer dans un autre pays de l'UE s'ils ne disposent pas de ressources suffisantes, et encore moins s'il s'agit seulement d'y toucher des prestations sociales; les aides sociales ne sont pas accordées aux Européens de manière inconditionnelle; il est nécessaire de lutter contre les abus et les fraudes qui pourraint être constatées en matière d'accès aux prestations sociales etc.
L'accord UE-RU contient quelques « réformes » substantielles, dont la mise en œuvre appelle à la vigilance
L’accord UE-RU contient principalement quatre innovations portant sur les relations entre l’UE et ses États membres: si ces « réformes » ne sont pas enthousiasmantes du point de vue de l’esprit et de la lettre des traités européens, elles peuvent sembler acceptables pour quiconque veut bien considérer les spécificités britanniques, même si leur mise en œuvre devra faire l’objet d’une vigilance particulière.
Les parlements nationaux pourront désormais bloquer, et non plus seulement ralentir, une initiative normative européenne s’ils jugent qu’elle ne respecte pas le principe de subsidiarité. Ce « carton rouge » ne pourra pas être brandi par un seul parlement, fut-il britannique, mais par au moins la moitié des parlements de l’UE: inspiré du « carton orange » déjà en place et utilisé à une seule reprise, ce mécanisme peut le cas échéant constituer une utile corde de rappel face à un supposé activisme normatif de l’UE, sous réserve qu’il ne donne pas lieu à une guérilla anti-bruxelloise.
S’il estime qu’une décision ou une norme en voie d’adoption dans le cadre de « l’Eurogroupe » pourrait nuire à ses intérêts, un seul pays non membre de la zone euro (et donc, s’il le souhaite, le RU) pourra demander une nouvelle discussion au niveau du Conseil européen. Il ne s’agit pas d’un « droit de veto » mais d’un « droit de regard », dont il faudra veiller à ce qu’il soit utilisé sans faire obstacle au bon fonctionnement de la zone euro. La portée de la « réforme » invoquée de la régulation des services financiers est plus incertaine: tout en rappelant que l’ensemble des services financiers agissant dans le cadre du marché unique doivent appliquer les mêmes normes, il est précisé que des ajustements spécifiques pourront le cas échéant être adoptés à l’intérieur même de ce cadre juridique uniforme...
La réforme la plus marquante concerne dès lors la libre circulation des travailleurs : cette réforme ne concerne pas les Européens déjà installés au RU; elle n’interdit en rien aux autres travailleurs européens de continuer à tenter leur chance; mais elle conduit à durcir leurs conditions d’accès aux aides fiscales et sociales « non contributives », c’est-à-dire celles pour lesquelles ils n’auront pas déjà cotisés. Cet accès sera progressif et ne deviendra plein et entier qu’au bout de 4 ans maximum, sur la base d’un mécanisme de sauvegarde pouvant lui être invoqué durant 7 ans – soit la durée exacte de la clause de sauvegarde dont disposait le RU entre 2004 et 2011 pour restreindre la libre circulation des travailleurs d’Europe centrale, sans en avoir fait usage à l’époque. L’accord prévoit aussi d’offrir une nouvelle « option » aux États membres : celle consistant à fixer le montant des allocations familiales versées aux enfants restés dans le pays d’origine de leurs parents en fonction du niveau de vie de ce pays et du niveau des allocations familiales qui y sont versées. Les conditions exactes dans lesquelles ce mécanisme de sauvegarde et cette « option » pourront être mises en œuvre doivent encore être précisées par des textes législatifs proposés par la Commission et adoptés par le Conseil et le Parlement européen: il appartiendra à ces trois institutions de garantir qu’elles soient pleinement conformes au droit communautaire, sous le contrôle de la Cour de justice, mais aussi de veiller à ce qu’elles ne créent pas un précédent sur lesquels des pays pourraient être tentés de s’appuyer afin d’instituer d’autres entraves à la libre circulation des travailleurs.
L’accord UE-RU ne devrait avoir qu’un impact limité sur la construction européenne
Le texte de l’accord UE-RU ne jouera pas forcément un rôle majeur dans la campagne référendaire britannique, qui portera davantage sur le contexte politique et diplomatique dans lequel s’inscrivent les relations tumultueuses entre Londres et « Bruxelles ». Au moins son adoption permet-elle à David Cameron et aux partisans du maintien dans l’UE d’engager leur campagne en vue du vote du 23 juin prochain.
Il semble excessif de penser que la conclusion d’un tel accord pourra inciter d’autres chefs d’État ou de gouvernement à recourir à la même stratégie référendaire que leur homologue britannique, dès lors que la conjonction euroscepticisme-europhobie atteint des niveaux inégalés au RU, et parce que leurs homologues refuseraient que « l’Europe à la carte » devienne la règle plutôt que l’exception. Dire qu’on n’aime pas l’UE est une chose, choisir de la quitter en est une autre: si l’Union n’est pas une prison, il n’est pas exclu que même les Britanniques mesurent eux aussi l’écart séparant l’expression d’un désamour affiché et les risques d’une rupture aux conséquences incertaines.
Pour le reste, le statut un peu plus spécial dont pourrait bénéficier le RU si une majorité de ses citoyens choisit le maintien dans l’UE ne fera qu’accentuer la différenciation autour de laquelle doit désormais mieux s’organiser la Fédération européenne d’États-nations évoquée par Jacques Delors: cela suppose un double agenda positif, au niveau de l’UE toute entière comme de la zone euro, qu’il appartient plus que jamais aux leaders européens et nationaux de dessiner.
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La conclusion de l’accord UE-RU présente au final un avantage majeur: celui de permettre aux Européens et à leurs dirigeants d’en revenir aux autres défis pressants qu’ils doivent affronter ensemble, notamment la crise des réfugiés et la menace terroriste, défis beaucoup plus déterminants pour le futur de l’UE et le bienêtre de ses citoyens.